Lettres
de Guy de Maupassant
Lettre à Gustave Flaubert
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS
SECRÉTARIAT
1er BUREAU
Paris, le 19 août 1879.
Mon cher Maître,
Je ne vous ai pas répondu plus tôt parce que je ne pouvais vous donner encore aucune nouvelle.
J'ai été 2 fois chez M. Billard sans le trouver ; il était absent de Paris. Quant à M. Achille il ne pouvait se procurer les Festons et Astragales dont un exemplaire vaut actuellement de 40 à 50 fr.
Enfin j'ai vu M. Billard ce matin et il porte aujourd'hui à Lemerre les 3 volumes. J'ai eu d'autant plus de mal à le voir que je suis en ce moment seul avec Charmes dans notre bureau, ce qui me force à arriver à 8 heures du matin pour ne partir qu'à 7 heures du soir ; et je ne puis m'absenter une seule minute dans le jour.
J'ai fait écrire au chef du cabinet, absent en ce moment, pour qu'il donne l'ordre d'ordonnancer 750 fr. en votre nom. J'ai tout lieu de croire que la chose va être faite. Quant à une augmentation de pension, c'est, en ce moment, tout à fait impossible ; la commission du Budget a carrément refusé le crédit que nous demandions en 1880 pour le chapitre des hommes de lettres, de sorte que nous restons avec des dettes, et que toute la bonne volonté d'un ministre serait insuffisante pour donner actuellement une pension de 100 francs.
Je suis bien heureux des nouvelles que vous me donnez de vos affaires. Je savais du reste, par Mme Brainne, que M. Commanville reprenait ses affaires et installait une scierie à Rouen.
J'ai eu, quant à moi, un tas d'embêtements du côté de mon frère qui a causé beaucoup de chagrin à ma mère et l'a fait se sauver dans un petit trou de la Bretagne, St-Jacut-de-la-Mer, où j'irai, sans doute la chercher au commencement de septembre.
J'ai vu Tourgueneff qui va très bien.
Adieu, mon cher Maître, je vous embrasse tendrement et filialement.
Mille amitiés autour de vous.
GUY DE MAUPASSANT

Lettre à sa mère
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS
SECRÉTARIAT
1er BUREAU
Paris, le 14 août 1879.
J'ai été quelques jours avant de te répondre, ma chère mère, parce que j'ai en ce moment une besogne formidable.
Monsieur Charmes vient de revenir de son congé et je suis tenu du matin au soir.
Voici une lettre que je viens de recevoir d'Hervé. Je lui avais écrit de la façon la plus dure et la plus humiliante. Il répond très humblement. Je lui ai alors envoyé une lettre sévère, mais détendue. Il faut t'occuper d'obtenir du colonel la promesse qu'il consentira à le laisser changer de corps.
J'irai très vraisemblablement en Bretagne au mois de septembre, mais pour pouvoir faire mon voyage complet et sans gêne, j'aurais besoin que tu m'avançasses (si cela ne te gêne en rien) 60 francs jusqu'au jour de l'an au plus tard. Comme j'aurai au minimum 300 francs de gratification, je ne serai pas en peine pour te les rendre.
Mon père me paie le voyage comme pour la Hollande. Si cette avance te gênait en quelque chose, dis-le-moi franchement ; car cela ne m'empêcherait pas de réaliser mon excursion.
Voilà ce que je compte faire. Aller d'un trait à Rennes, de là à Nantes, par Redon, puis à Auray, Quiberon, Saint-Brieuc, Dinard, Saint-Malo, Avranches, Coutances, Jersey et Guernesey, Cherbourg, Caen.
Je te verrai en passant à Saint-Jacut.
Puis, vers le 15 septembre, lorsque tu retourneras à Étretat, je t'y rejoindrai de Caen au Havre ; j'y passerai une dizaine de jours, puis je retournerai à Caen pour employer mon billet de retour.
J'ai été hier assister à la répétition de L'Histoire
1 qui va être jouée le 15 août à Étretat à la soirée de bienfaisance donnée par Louise de Miramont.
Mes interprètes sont Madame Richault, ex-artiste de l'Odéon, actuellement professeur de déclamation, et M. Georges, du Vaudeville. Je suis très satisfait d'eux, et je crois que cela ira fort bien.
Je viens de vendre à l'éditeur Tresse (le prix n'est pas encore arrêté) ma pièce Une Répétition, que je remanie pour lui. Il la fera entrer dans le volume qu'il publie tous les ans sous le titre « Saynètes et Monologues ». J'ajoute qu'il a acheté de confiance sans connaître l'œuvre.
Louise de Miramont m'a écrit une lettre éplorée. Ma petite pièce lui coûte assez cher, puisqu'il faut payer les artistes, etc. Or le Casino, ayant un traité avec la Société des Auteurs, lui réclame « mes » droits : soit 120 francs. Elle me prie de lui abandonner la moitié de cette somme. Quoiqu'il m'en coutât, j'ai abandonné le tout. Elle ne comptait pas sur cette tuile ; et elle était vraiment troublée d'avoir encore cela à paver.
De plus, j'ai assez souvent consulté Miramont sans lui rien donner pour me montrer large en cette occasion.
Mais « 120 » francs ! Comme cela aurait aidé à mon voyage ! Enfin, n'y pensons plus.
Adieu, ma chère mère, je t'embrasse mille fois de tout mon cœur. Donne-moi de tes nouvelles,
Ton fils,
GUY DE MAUPASSANT

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