Les contes

La légende de Gargantua

 

La Houle Causseul

 

L'âne qui devient moine

Retour en haut de la page

 

La légende de Gargantua

Gargantua vit le jour (comme chacun le sait) dans les landes de Frehel où il y oublia l'un de ses doigts (près du Fort La Latte). Son dentier est resté sur le mont Garrot (Saint Suliac). C'est lui aussi qui élargit la Rance et fit la "plaine de Mordreuc". Il connaissait bien Saint-Jacut où l'odeur des raies (raas) séchant l'incommodait beaucoup.

 

La plus mémorable rencontre eut lieu un jour qu'un "glao" (bateau jaguen à cul carré), chargé de belles raies, rentrait sur la Houle Chausseul.

 

L'eau lui vint à la goule. D'un geste prompt, il saisit la barque et avala le tout. Il n'avait pas estimé à leur juste poids les pierres de lest.

 

Il s'en alla au guildo vomir pêle-mêle bateau, raas (raies), marins et pierres. Ce sont ces fameuses Pierres Sonnantes qu'on peut encore voir sur la rive de l'Arguenon.

 

Retour en haut de la page

  

La Houle Causseul

(Paul Sébillot, Littérature orale de la Haute-Bretagne, Maisonneuve, 1881).

 

Un soir, à la nuit tombante, un pêcheur de Saint Jacut revenait des pêcheries, où il était resté le dernier, et, son panier sous le bras, il longeait les rochers qui sont au bas des falaises pour arriver au sentier qui conduisait au village : il marchait pieds nus sur le sable mouillé qui étouffait le bruit de ses pas, lorsqu'au détour d'une petite anse il aperçut dans une grotte plusieurs fées qu'il reconnut de suite pour telles à leur costume ; elles causaient entre elles en gesticulant avec vivacité, mais il n'entendait rien de ce qu'elles disaient; il les vit se frotter les yeux avec une sorte de pommade, et aussitôt elles changèrent de forme et s'éloignèrent de la grotte, semblables à des femmes ordinaires.

 

Lorsque le pêcheur les avait vues se disposer à quitter leur retraite, il s'était caché avec soin derrière un gros rocher, et elles passèrent tout près de lui sans se douter qu'elles avaient été observées.

 

Quand il pensa qu'elles étaient loin, il cessa de se cacher et alla tout droit à la grotte. Il avait bien un peu de frayeur, car l'endroit passait pour hanté ; mais la curiosité l'emporta sur la peur. Il vit, sur la paroi du rocher qui formait une des murailles de la caverne, un reste de la pommade dont elles s'étaient frotté les yeux et le corps. Il en prit un peu au bout de son doigt, et s'en mit tout autour de l'œil gauche, pour voir s'il pourrait, par ce moyen, acquérir la science des fées et découvrir les trésors cachés.

 

Quelques jours après, une chercheuse de pain vint dans le village où elle demandait la charité de porte en porte : elle paraissait semblable aux femmes déguenillées et malpropres dont le métier est de mendier. Mais le pêcheur la reconnut aussitôt pour une des fées qu'il avait vues changer de forme dans la grotte ; il remarqua qu'elle jetait des sorts sur certaines maisons, et qu'elle regardait avec soin dans l'intérieur des habitations, comme si elle avait voulu voir s'il n'y avait pas quelque chose à dérober.

 

Quand il sortait au large avec son bateau, il voyait les dames de la mer nager autour de lui, et les reconnaissait parmi les poissons auxquels elles ressemblaient par la forme. Les autres marins ne les apercevaient pas ; mais lui savait se garantir des tours qu'elles jouent aux pêcheurs dont elles se font un malin plaisir d'embrouiller les lignes, de manger l'amorce sans se laisser prendre, ou d'emmêler les unes dans les autres les amarres des barques, sources de disputes violentes et de querelles entre les pêcheurs. Quelque temps après, il alla à la foire de Ploubalay, où il vit plusieurs fées, qu'il reconnut aussitôt malgré leurs déguisements variés : les unes étaient somnambules et disaient la bonne aventure ; d'autres montraient des curiosités ou tenaient des jeux de hasard où les gens de campagne se laissaient prendre comme des oiseaux à la glu. Il se garda bien d'imiter ses compagnons et de jouer ; mais il pouvait s'apercevoir que les fées étaient inquiètes, sentant vaguement que quelqu'un les reconnaissait et les devinait.

 

Aussi elles faisaient plusieurs choses de travers: il s'en réjouissait, et souriait en se promenant parmi la foule. En passant près d'une baraque où plusieurs fées paradaient sur l'estrade, il vit que lui aussi avait été aperçu et deviné, et qu'elles le regardaient d'un air irrité. Il voulut s'éloigner ; mais rapide comme une flèche, l'une des fées lui creva, avec la baguette qu'elle tenait à la main, l'œil que la pommade avait rendu clairvoyant.

 

C'est ainsi que le grand Cangnard devint borgne pour avoir voulu savoir les secrets des fées de la mer.

 

Retour en haut de la page

 

  

L'âne qui devient moine

(Paul Sébillot, "Toutes les joyeuses histoires des pécheurs jaguens", Edition Arbre d'or)

 

a

Il était une fois à Saint-Jacut un meunier qui avait un âne et tous les soirs il l’attachait avec une longue corde auprès de son moulin afin qu’il pût paître tout à son aise. En ce temps-là il y avait aussi à Saint-Jacut des moines qui allaient la nuit dans les champs pour y voler ce qui se trouvait à leur convenance.

 

Une nuit qu’ils retournaient à l’Abbaye après une abondante cueillette, il virent l’âne qui paissait au pied du moulin, et ils se dirent :

- Il faut prendre cet âne pour porter notre butin et, quand nous n’en aurons plus besoin, nous irons le vendre.

- Bien, dit le supérieur ; mais pour qu’on ne s’en aperçoive pas, tu vas, dit-il à un des moines, te mettre à la place de l’âne, attaché comme lui, et quand le meunier viendra, tu lui diras que tu avais été changé en âne et que ton temps est fini.

 

A deux heures du matin, le meunier eut besoin de son âne, et il sortit pour le prendre ; mais à sa place il vit au clair de lune un moine.

- Qui est là ? cria-t-il.

- Votre âne, répondit le moine d’un ton de pénitent.

- Par ma fa, mon fû, dit le meunier, mon âne prêche don’ asteure. (1)

- J’étais condamné, dit le moine, à faire pénitence de mes péchés sous la forme d’un âne ; mon temps est fini, et je suis redevenu moine.

- Par ma fa, mon fû, répondit le meunier, tu peux t’en aller ; j’nai pas affaire de ta ; n’est pâ ta qui iras me queri’ des pouchées ni les porter su’ ton dos. (2)

 

Le moine retourna à son couvent ; quand il fut jour, le meunier dit à sa femme :

- Dis don’, Félie, sais-tu ben, notre âne ! Hé ben ! ’était un moine qu’était à faire pénitence en âne, et quand il la za zeue finie, il a été démorphosé et est redevenu moine.

- Par ma fa, mon p’tit fû, dit la femme, j’étas ben en païne c ’qu’il avait à batt’e si souvent d’la goule : ’est qui disait son bréviaire. (3)

 

Quand arriva l’été, les moines qui n’avaient plus affaire de l’âne allèrent pour le vendre à la foire de Plouër et, comme c’est le pays aux ânes, le meunier y vint aussi pour en acheter un. Lorsqu’il vit celui que les moines avaient amené, il dit à sa femme.

- Regarde, Félie, Dieu me danse , mon fû, paraît que l’moine ara cor fait queuque bêtise, le v’la cor tourné en bourrique.

 

En voyant un de ses voisins, il lui dit :

- Par ma fa, mon fû, n’allez pas acheter une bête de même ; n’est pas qu’o (qu’elle) ne vaut ren ; mais en lieu d’eune âne, dans huit jou’s, v’arez un moine à vot’e porte ; regardez-le : i’ bat cor des lèvres, il est à dire son bréviaire.

 

Pendant toute la foire, il resta auprès de l’âne, et quand il voyait quelqu’un s’approcher pour le marchander, il lui racontait les mêmes choses, de sorte que personne ne voulut l’acheter, et les moines furent obligés de le ramener à leur couvent.

(1) Par ma foi, mon fils, mon âne prêche donc à cette heure

(2) Par ma foi, mon fils, tu peux t'en aller; je n'ais rien à faire de toi; ce n'est pas toi qui irais chercher des sacs (de farine) ni les porter sur ton dos.

(3) Par ma foi, mon petit fils, j'étais bien en peine de savoir ce qu'il avait à remuer si souvent la gueule : c'est qu'il disait son bréviaire.

Retour en haut de la page